Pourquoi Netflix Comprend Mieux le Public Local

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Séries télé

La télévision française se pensait longtemps irremplaçable : ses grilles structurent encore la vie quotidienne de millions de foyers, ses rendez-vous fédèrent le pays, ses chaînes publiques restent puissantes. Pourtant, une révolution silencieuse a eu lieu. Elle ne prend pas la forme d’un choc brutal, ni d’une disparition soudaine, mais d’une redistribution subtile de l’attention. Netflix, grâce à ses algorithmes de recommandation, a appris à lire le spectateur français avec une précision que les chaînes linéaires n’ont jamais pu atteindre. Et ce progrès technologique façonne aujourd’hui une grande partie des usages culturels du pays.

L’algorithme n’est pas une simple fonction technique : c’est un système sophistiqué capable d’observer, d’apprendre et d’anticiper. Sur son site officiel de recherche, Netflix explique que plus de quatre-vingt pour cent de son infrastructure repose sur des modèles de recommandation basés sur des données comportementales. Cette transparence partielle, destinée aux chercheurs en machine learning, montre que chaque interaction — un arrêt de lecture, un changement de langue, un retour en arrière, l’heure du visionnage — devient un signal analysé. Le but n’est pas de manipuler le spectateur, mais de réduire la friction entre lui et l’histoire qu’il cherche inconsciemment.

Infographie sur le Big Data de Netflix

Infographie sur le Big Data de Netflix

Les autorités françaises observent ce phénomène avec attention. Selon l’ARCOM, qui suit depuis plusieurs années les pratiques des plateformes, les algorithmes modifient non seulement la visibilité des contenus, mais aussi la diversité culturelle. L’organisme souligne dans plusieurs rapports que ces systèmes peuvent créer des “trajets de découverte personnalisés”, où deux spectateurs vivant dans la même ville ne voient jamais la même offre. Cette personnalisation, loin d’être anecdotique, influence la façon dont les Français découvrent les genres, les acteurs et les univers narratifs.

Ce constat est renforcé par Médiamétrie, qui mesure les usages audiovisuels : les jeunes générations, notamment les 15–34 ans, considèrent aujourd’hui l’algorithme comme un assistant de visionnage plus fiable qu’un programmateur humain. Le plaisir de “zapper” cède la place à une forme d’accompagnement algorithmique, perçu comme plus intuitif, plus rapide, plus pragmatique. Les chaînes traditionnelles, avec leurs horaires fixes et leur programmation homogène, peinent à s’adapter à cette réalité.

Les études universitaires abondent dans le même sens. Plusieurs travaux menés par Paris-Saclay, par l’Université de Lorraine et par des chercheurs indépendants décrivent le streaming comme un environnement où la fiction se consomme sur mesure. Ces travaux parlent désormais de “cultures algorithmiques”, un concept développé pour qualifier la manière dont les plateformes filtrent, hiérarchisent et redirigent l’attention. Loin d’appauvrir le goût, ces systèmes personnalisent le parcours culturel de chacun, ce qui explique pourquoi certains Français se sentent mieux compris par une plateforme internationale que par leurs propres réseaux audiovisuels.

Netflix, de son côté, revendique cette approche. Dans plusieurs articles publiés sur Netflix Tech Blog et Netflix Research, la plateforme insiste sur sa volonté de proposer le contenu "le plus pertinent à un moment précis" plutôt que "le contenu le plus populaire". C’est cette différence qui transforme l’expérience. Là où une chaîne traditionnelle cherche à toucher le plus grand nombre au même moment, Netflix cherche à toucher une personne avec une histoire juste pour elle. Cette philosophie modifie entièrement la relation entre le spectateur et l’écran.

Il serait pourtant réducteur de penser que les algorithmes remplacent l’instinct humain. Ils en prolongent plutôt les failles, les envies, les micro-hésitations. Les chaînes françaises utilisent bien sûr des données, des panels, des tendances. Mais elles restent contraintes par une diffusion collective. L’algorithme, lui, fonctionne à l’échelle intime. Il connaît les heures où l’on regarde des choses légères. Il sait quand on préfère un documentaire lent ou une série à suspense. Il comprend les rythmes d’une journée, les moments de fatigue, les rituels du soir. Cette compréhension comportementale n’a jamais existé dans l’audiovisuel français avant l’arrivée du streaming.

Cette révolution technologique ne signifie pas que la télévision disparaisse. Elle transforme sa fonction. La télé reste un espace de direct, d’événements nationaux, de sport, de journalisme. Netflix devient l’espace du quotidien, le lieu souterrain, personnalisé, modulable. Les deux cohabitent, mais l’une des deux connaît désormais le spectateur mieux que l’autre. Et cette connaissance intime, presque invisible, redessine silencieusement ce que signifie “regarder quelque chose” en France aujourd’hui.

Sources de recherche :

  1. Netflix Research / Netflix Tech Blog : https://research.netflix.com

  2. ARCOM (ex-CSA) — rapports officiels sur les pratiques des plateformes : https://www.arcom.fr