Il existe des traditions auxquelles Roland-Garros ne touche jamais — la terre battue orangée, le murmure du Philippe-Chatrier avant une balle de break, l’élégance toute parisienne du public. Mais il existe aussi des saisons où le tournoi décide de surprendre. L'annonce arrivée en décembre, presque à contretemps du calendrier tennistique, en est la preuve : Roland-Garros lance pour la première fois le “Point of the Year”. Une manière audacieuse de prolonger l’émotion du tournoi, de donner un second souffle aux échanges qui ont fait vibrer les tribunes en 2025, et surtout, de redonner au public le pouvoir de choisir ce qui mérite d’être retenu.
Pas de communiqué formel, pas de conférence de presse : un format simple, direct, pensé pour la vitesse du numérique. Le ton est clair : ce sont les fans qui décident. Et à la manière dont les commentaires se sont enflammés, on comprend vite que l’idée a touché juste.

Une initiative née d’une saison hors norme
Si Roland-Garros a choisi 2025 pour inaugurer ce vote, ce n’est pas un hasard. Le tournoi a connu l’une de ses éditions les plus intenses, presque romanesques. La finale masculine entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner a été immédiatement qualifiée d’historique : 5 heures 29 de combat, des retournements imprévisibles, trois balles de match sauvées et un public qui passait de l’apnée au cri primal.
Dans le tableau féminin, Coco Gauff a marqué l’histoire d’une autre manière : non seulement elle a remporté son premier Roland-Garros, mais elle l’a fait avec une maturité nouvelle, une présence physique impressionnante et un jeu qui a semblé gagner en profondeur à chaque tour. Pour une génération de jeunes fans, son triomphe restera probablement le souvenir fondateur.
Avec une telle densité émotionnelle, presque chaque journée du tournoi a offert un moment à isoler, à revoir, à célébrer. L’idée du “Point of the Year” s’inscrit donc dans une logique simple : capturer ces fragments de magie et les remettre entre les mains du public. Le tennis n’est plus seulement une ligne statistique ou un palmarès écrit en lettres d’or ; ce sont aussi ces quelques secondes où le temps semble se contracter, où l’on retient son souffle, où un point devient un choc esthétique.
Le vote comme prolongement naturel du court
Ce qui frappe dans cette initiative, c’est son intelligence médiatique. Le tennis moderne n’est plus uniquement consommé sur un écran. Il circule, il se partage, il vit à travers les clips de quelques secondes qui explosent sur les réseaux. Roland-Garros l’a compris : le public d’aujourd’hui se nourrit d’instantanés, de gestes magnifiques, de points totalement irréels qui s’arrachent de leur contexte pour devenir des micro-légendes.
Le “Point of the Year” n’est pas un trophée supplémentaire. C’est un pont. Un pont entre l’expérience du stade et celle du numérique. Un pont entre les fans du monde entier qui n’ont pas tous pu assister aux matches en direct, mais qui peuvent participer à la construction d’une mémoire collective. Un pont entre le passé brûlant du tournoi et son futur digital.
Et surtout, c’est une manière de redonner poids à l’œil du spectateur. Pas l’œil “expert”, mais l’œil sensible, celui qui aime, celui qui s’émerveille. À Roland-Garros, on a l’habitude d’entendre les entraîneurs et les joueurs dire qu’un match se joue souvent dans les détails. Le vote, lui aussi, se joue dans les détails : un geste, une intuition, un angle impossible, une défense héroïque. Ce sont ces détails qui seront immortalisés.
Une nouvelle manière de raconter Roland-Garros
Là où cette initiative devient réellement intéressante, c’est dans la façon dont elle repositionne Roland-Garros dans le paysage sportif — non comme un tournoi figé dans la tradition, mais comme un acteur agile, capable d’accompagner les évolutions culturelles. Le public d’aujourd’hui ne veut plus seulement voir qui gagne : il veut comprendre, ressentir, participer, partager. Le sport devient une conversation permanente, un flux d’émotions qui ne s’interrompt jamais.
En lançant cette élection, Roland-Garros transforme ses meilleurs moments en matériau narratif. Chaque point sélectionné est à la fois un souvenir individuel et un symbole collectif. C’est une mémoire vivante, qui circule, qui se propage, qui se commente. C’est aussi une manière de rendre hommage à l’effort presque mythologique que demandent ces points. Un joueur qui sauve une balle de match après un sprint de dix mètres ; une joueuse qui trouve un angle miraculeux alors que tout semblait perdu : ce sont ces instants qui racontent le sport mieux que n’importe quelle statistique.
Une initiative qui pourrait transformer l’avenir du tournoi
Ce vote est peut-être une première étape. Certains observateurs s’interrogent déjà : verra-t-on bientôt une catégorie dédiée au double ? Au tennis fauteuil ? Aux points les plus techniques ? Aux points les plus tactiques ? Et pourquoi pas une cérémonie de remise de prix à la veille du tournoi suivant ? Roland-Garros a ouvert une porte — et il est clair que le public serait prêt à suivre.
Dans les couloirs, on parle déjà de l’impact potentiel de ce format sur les futures éditions : une manière de créer une archive “active”, réinterprétée chaque année, presque un musée vivant de la beauté du tennis.
Conclusion : une nouvelle respiration pour un monument du sport
Roland-Garros n’avait pas besoin de se réinventer. Mais il a choisi de le faire, et c’est ce qui distingue les institutions vivantes des monuments figés. Le “Point of the Year” n’est pas un gadget : c’est un geste éditorial, culturel, émotionnel. Une manière de dire que chaque détail compte, que chaque spectateur compte, et que le tennis continue d’être un théâtre d’émotions capable de capturer un monde entier en quelques secondes d’échange.
Dans un calendrier hivernal souvent calme, Roland-Garros réussit un petit miracle : rallumer l’excitation, raviver les souvenirs, et rappeler que la terre battue parisienne ne dort jamais vraiment. Elle respire encore. Elle appelle encore. Et elle nous invite à voter pour ce qui nous a le plus touchés. Parce que parfois, un seul point suffit pour raconter toute une saison.


